L’argument du rêve de Descartes

L’argument du rêve est dû à Descartes. Il peut être formulé très simplement. Il s’agit d’un argument qui conduit à la conclusion que nos perceptions actuelles pourraient bien être illusoires et trompeuses, car elles sont en tous points analogues à celles que nous avons lorsque nous rêvons. Lorsque nous sommes en effet en état de rêve, nos perceptions sont en effet suffisamment réalistes pour être capables de créer l’illusion de la réalité. L’argument du rêve est décrit dans le passage suivant (Première méditation) des Méditations métaphysiques :

Mais, encore que les sens nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et fort éloignées, il s’en rencontre peut-être beaucoup d’autres, desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen : par exemple, que je sois ici, assis auprès du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? Si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? Ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples. Toutefois j’ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j’ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu’ils veillent. Combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que le remue n’est point assoupie ; que c’est avec dessein et de propos délibéré que j’étends cette main, et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m’arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices concluants, ni de marques assez certaines par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que j’en suis tout étonné ; et mon étonnement est tel, qu’il est presque capable de me persuader que je dors.

L’argument du rêve peut être détaillé de la manière suivante :

(1) lorsque je suis éveillé, j’ai des perceptions

(2) lorsque je rêve, j’ai également des perceptions prémisse

(3) les perceptions que j’ai lorsque je suis éveillé sont en tous points identiques à celles que j’ai lorsque je rêve

(4) je ne possède pas de critère qui me permette de distinguer mes perceptions lorsque je suis éveillé ou lorsque je rêve

(5) je n’ai pas de preuve que je ne suis pas actuellement en état de rêve

(6) il est possible que je sois actuellement en état de rêve

(7) lorsque je rêve, mes perceptions sont fausses

(8) il est possible que toutes mes perceptions actuelles soient fausses

Paul Franceschi, Introduction à la philosophie analytique

Extrait du film Matrix (1999)

L’expérience des cerveaux dans une cuve

L’expérience des « cerveaux dans une cuve » a été énoncée par Hilary Putnam, dans son ouvrage Raison, Vérité et Histoire paru en 1982. L’argument commence par l’interrogation suivante : est-ce que je ne suis pas un cerveau dans une cuve ? Autrement dit, suis-je bien certain que quelque savant fou ne m’a pas enlevé, n’a pas ensuite prélevé mon cerveau pour le placer dans un liquide nutritif, et n’a pas enfin simulé toutes les informations qui parviennent d’habitude à mon cerveau, à l’aide d’un dispositif particulièrement sophistiqué. De la sorte, mes sensations, mes perceptions, mes pensées, etc. ne seraient que l’effet des stimulations que le savant fou envoie, à l’aide de son appareillage, à l’ensemble de mes neurones. Suis-je bien tout à fait certain que je ne me trouve pas dans une situation de ce type ? Si tel était le cas, les stimulations envoyées à mon cerveau seraient telles qu’elles produiraient exactement les impressions qui sont les miennes lorsque j’ai des sensations, des perceptions, des émotions ou des pensées, dans des conditions normales. Comment donc puis-je être tout à fait certain que je ne suis pas un cerveau dans une cuve ?

Paul Franceschi, Introduction à la philosophie analytique