Podcasts à écouter : Devenir soi avec Kierkegaard
1/4 L’esthète et le séducteur
2/4 Le mari et le juge
- Extrait n°1 : Kierkegaard, Ou bien ou bien (Papiers de A)
Marie-toi, tu le regretteras ; ne te marie pas, tu le regretteras également ; marie-toi ou ne te marie pas, tu regretteras l’un et l’autre ; que tu te maries ou que tu n’en fasses rien, tu le regretteras dans les deux cas.
Ris des folies du monde, tu le regretteras ; pleure sur elles, tu le regretteras également ; ris des folies du monde ou pleure sur elles, tu regretteras l’un et l’autre ; que tu ries des folies du monde ou que tu pleures sur elles, tu le regretteras dans les deux cas.
Crois une jeune fille, tu le regretteras ; ne la crois pas, tu le regretteras également ; crois une jeune fille ou ne la crois pas, tu regretteras l’un et l’autre ; que tu croies une jeune fille ou que tu n’en fasses rien, tu le regretteras dans les deux cas.
Pends-toi, tu le regretteras ; ne le fais pas, tu le regretteras également ; pends-toi ou non, tu regretteras l’un et l’autre ; que tu te pendes ou que tu n’en fasses rien, tu le regretteras dans les deux cas.
Tel est, Messieurs, le résumé de tout l’art de vivre.
- Extrait n°2 : Kierkegaard, Ou bien ou bien (L’équilibre entre l’esthétique et l’éthique, Papiers de B)
Partout où, en un sens plus strict, il est question d’un « ou bien — ou bien », on peut toujours être sûr que l’éthique y est pour quelque chose. (…) Lorsqu’un homme réfléchit esthétiquement sur un grand nombre de tâches de la vie, comme tu le faisais dans ce qui précède, il n’obtient pas facilement un seul « ou bien — ou bien », mais toute une foule, parce que ce qui constitue le libre arbitre dans le choix n’y devient pas éthiquement accentué, et parce qu’en ne choisissant pas d’une manière absolue, il ne choisit que pour l’instant et, qu’à l’instant d’après, il peut choisir autre chose. Le choix éthique est par conséquent, en un certain sens, beaucoup plus facile, beaucoup plus simple, mais, dans un autre sens, infiniment plus difficile. Celui qui de façon éthique désire se fixer la tâche de sa vie, ne trouve généralement pas un choix aussi considérable ; par contre, l’acte de choisir a une beaucoup plus grande importance pour lui. Si tu veux bien me comprendre correctement, je suis prêt à dire que ce qui compte le plus dans le choix, n’est pas de choisir ce qui est juste, mais l’énergie, le sérieux et la passion avec lesquels on choisit. C’est en cela que la personnalité se manifeste dans son infinité intime, et c’est par cela que la personnalité à son tour est consolidée. Par conséquent, même si quelqu’un choisit faux, il apercevra pourtant, et justement à cause de l’énergie avec laquelle il a choisi, qu’il avait choisi faux. Car le choix ayant été fait avec toute la sincérité de la personnalité, sa nature a été purifiée et elle-même a été mise en rapport immédiat avec la puissance éternelle qui par sa présence en tous lieux pénètre toute l’existence. Celui qui ne choisit qu’esthétiquement ne connaîtra jamais cette transfiguration, cette consécration supérieure. Le rythme dans son âme n’est, malgré toute sa passion, qu’un apiritus lenis (aspiration légère).
Car, celui qui vit esthétiquement ne voit partout que des possibilités, qui pour lui constituent la substance de l’avenir, tandis que celui qui vit éthiquement voit des tâches partout. L’individu voit donc cette concrétion réelle comme tâche, comme but, comme fin. Mais dire que l’individu voit sa possibilité comme sa tâche, c’est exprimer justement sa souveraineté sur lui-même, souveraineté qu’il n’abandonnera jamais, bien que d’un autre côté il ne se complaise pas dans la souveraineté très désinvolte que possède toujours un roi sans royaume. Cela donne à l’individu éthique une assurance qui manque complètement à celui qui ne vit qu’esthétiquement. Celui qui vit esthétiquement attend tout du dehors. C’est de là que vient l’angoisse maladive avec laquelle beaucoup de gens parlent de ce qu’il y a de terrible dans le fait qu’ils n’ont pas trouvé leur place dans le monde. Qui nierait ce qu’il y a de réjouissant dans la pensée d’avoir réussi à cet égard ? Mais une telle angoisse montre toujours que l’individu attend tout de la place, rien de lui-même. Celui qui vit éthiquement saura aussi bien choisir sa place ; cependant, s’il sent qu’il a commis une erreur ou qu’il y aura des difficultés qu’il ne peut pas vaincre, alors il ne perd pas courage ; car il n’abandonne pas la souveraineté sur lui-même. Il voit tout de suite ce qu’il y a lieu de faire et agit par conséquent tout de suite.
Vocabulaire et généralités sur la philosophie de Kierkegaard
Les trois stades d’existence.
Kierkegaard pense différents stades ou différentes sphères d’existence, qui peuvent être comprises comme des formes d’existence dominées par un principe d’action en particulier :
- Le stade esthétique : existence placée sous la détermination de la sensibilité. Recherche des plaisirs, de la satisfaction des sens, de la beauté enivrante, du sublime.
- Le stade éthique : … du choix. Vie engagée.
- Le stade religieux : … de la foi.
Ces trois stades ou sphères peuvent être comprises comme des étapes hiérarchiques ascendantes sur une échelle de valeur : la sphère éthique étant supérieure à la sphère esthétique, la sphère religieuse à la sphère éthique.
Confusion à éviter : On ne gravit pas les stades selon l’âge de la vie : toutes les personnes âgées ne sont pas nécessairement dans la sphère religieuse, ou même la sphère éthique. Cela n’a rien à voir avec le temps ou l’âge. Par contre, on peut les concevoir de manière chronologique.
Foi : saut dans l’absurde
Double sens du mot « esthétique »
- Qui concerne les sens, la sensibilité.
- terme qui se rapporte également à l’art. Référence à une forme d’art particulière qui est le romantisme du 19ème siècle, plus précisément le romantisme allemand. L’artiste maudit, reclus, qui est déçu du réel, qui ne s’insère pas dans la société. Il vit dans ses rêves, son imaginaire, sa sensibilité.
Œuvre de Kierkegaard, et Ou Bien… ou bien.
Utilise des pseudonymes : Il prend pour point de départ les points de vue de personnage fictifs, singuliers, qui illustrent telle ou telle forme d’existence. Par exemple, il ne parle jamais du stade esthétique en général, ou d’un point de vue général, mais toujours en prenant le point de vue d’un personnage qui vit de cette manière.
Philosophie à la première personne. Il se questionne donc sur ces différentes formes d’existence à partir de personnages et de situations concrètes.
Procédé de l’ironie ; cela consiste à adopter le point de vue d’un autre qui pense autrement que soi, voire même d’une manière opposée à soi.
Dans Ou bien… ou bien :
Partie 1 : Personnage de Johannes, esthéticien. Dont est extrait le texte 1. Papiers de A.
Partie 2 : Personnage de Wilhelm, sphère éthique. Dont est extrait le texte 2. Papiers de B. Il écrit à Johannes. Ou à A.