Question d’interprétation : Comment Freud montre-t-il dans ce texte que le Moi n’est pas maître dans sa propre maison ?

Tu es assuré d’apprendre tout ce qui se passe dans ton âme, pourvu que ce soit assez important, parce que, alors, ta conscience te le signale. Et quand dans ton âme tu n’as reçu aucune nouvelle de quelque chose, tu admets en toute confiance que cela n’est pas contenu en elle. Davantage, tu vas jusqu’à tenir “psychique” pour identique à “conscient”, c’est-à-dire connu de toi, malgré les preuves les plus patentes que dans ta vie psychique, il doit en permanence se passer beaucoup plus de choses qu’il n’en peut accéder à ta conscience.[…] Mais dans tous les cas, ces renseignements de ta conscience sont incomplets et souvent peu sûrs ; par ailleurs, il arrive assez souvent que tu ne sois informé des événements que quand ils se sont déjà accomplis et que tu ne peux plus rien y changer. Qui saurait évaluer, même si tu n’es pas malade, tout ce qui s’agite dans ton âme et dont tu n’apprends rien, ou dont tu es mal informé ? Tu te comportes comme un souverain absolu, qui se contente des renseignements que lui apportent les hauts fonctionnaires de sa cour, et qui ne descend pas dans la rue pour écouter la voix du peuple. Entre en toi-même, dans tes profondeurs, et apprends d’abord à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu dois devenir malade, et tu éviteras peut-être de le devenir. »

C’est ainsi que la psychanalyse a voulu instruire le moi. Mais ces deux élucidations, à savoir que la vie pulsionnelle de la sexualité en nous ne peut être domptée entièrement, et que les processus psychiques sont en eux-mêmes inconscients, ne sont accessibles au moi et ne sont soumis à celui-ci que par le biais d’une perception incomplète et peu sûre, reviennent à affirmer que le moi n’est pas maître dans sa propre maison.

Sigmund Freud, « Une difficulté de la psychanalyse » [1917]

Question d’interprétation : Comment Pascal montre-t-il dans cet extrait que le Moi est insaisissable ?

Qu’est-ce que le moi ? Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? Et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. 

Pascal, Pensées, Fragments, 5

Essai (avec texte littéraire) : Comment le récit de soi permet-il de se connaître soi-même ?

Demain j’allais trahir ma classe et déjà je reniais mon sexe ; cela non plus, mon père ne s’y résignait pas : il avait le culte de la jeune fille, la vraie. Ma cousine Jeanne incarnait cet idéal : elle croyait encore que les enfants naissaient dans les choux. Mon père avait tenté de préserver mon ignorance ; (…) maintenant, il acceptait que je lise n’importe quoi. Si du moins j’avais sauvé les apparences ! Il aurait pu s’accommoder d’une fille exceptionnelle à condition qu’elle évitât soigneusement d’être insolite : je n’y réussis pas. J’étais sortie de l’âge ingrat, je me regardais de nouveau dans les glaces avec faveur ; mais en société, je faisais piètre figure. Mes amies, et Zaza elle-même, jouaient avec aisance leur rôle mondain ; elles paraissaient au « jour » de leur mère, servaient le thé, souriaient, disaient aimablement des riens ; moi je souriais mal, je ne savais pas faire du charme, de l’esprit ni même des concessions. Mes parents me citaient en exemple des jeunes filles « remarquablement intelligentes » et qui cependant brillaient dans les salons. Je m’en irritais car je savais que leur cas n’avait rien de commun avec le mien : elles travaillaient en amateurs tandis que j’avais passé professionnelle. Je préparais cette année les certificats de littérature, de latin, de mathématiques générales, et j’apprenais le grec ; j’avais établi moi-même ce programme, la difficulté m’amusait ; mais précisément, pour m’imposer de gaieté de cœur un pareil effort, il fallait que l’étude ne représentât pas un à-côté de ma vie mais ma vie même : les choses dont on parlait autour de moi ne m’intéressaient pas. Je n’avais pas d’idées subversives ; en fait, je n’avais guère d’idées, sur rien ; mais toute la journée je m’entraînais à réfléchir, à comprendre, à critiquer, je m’interrogeais, je cherchais avec précision la vérité : ce scrupule me rendait inapte aux conversations mondaines. Somme toute, en dehors des moments où j’étais reçue à mes examens, je ne faisais pas honneur à mon père ; aussi attachait-il une extrême importance à mes diplômes et m’encourageait-il à les accumuler. Son insistance me persuada qu’il était fier d’avoir pour fille une femme de tête ; au contraire, seules des réussites extraordinaires pouvaient conjurer la gêne qu’il en éprouvait.

Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée (1958)

Autres essais sur le thème

Peut-on ne pas être soi-même ?

Peut-on être soi-même sans avoir expérimenté la complexité de notre identité ?

Se connaître, est-ce apprivoiser l’autre en soi-même ?

Vivre avec une conscience déchirée est-il le propre de la condition humaine ?

Dans quelles mesure nos pulsions nous définissent-elles ?

Le moi est-il voué à souffrir de son inconscient ?

Que peut apporter une autobiographie à la connaissance de soi ?

En quoi le « je » exprime-t-il une identité collective qui le dépasse ?

L’expression « je ne suis personne » a-t-elle un sens ?

Peut-on répondre à la question « qui suis-je ? » ?

Suis-je mon corps ou suis-je mon esprit ?