Quand un jeune enfant apprend qu’une séquence de sons émise par les cordes vocales de ses parents est son nom, il commence à assimiler le mot – devenu une pensée dans son esprit – à ce qu’il est. À ce stade, certains enfants parlent d’eux-mêmes à la troisième personne : « Jean a faim » Peu de temps après, les enfants apprennent le mot magique « je » et l’assimilent à leur nom, qu’ils ont déjà assimilé à ce qu’ils sont. Puis arrivent d’autres pensées qui fusionnent avec la pensée « je » originale. Au stade suivant, ce sont les pensées « moi » et « mien », qui désignent des choses et font en quelque sorte partie du « je ». Il s’agit d’une identification aux objets : on attribue aux objets (en fait aux pensées qui représentent ces objets) un certain sens de soi et on en tire une impression d’identité. Alors, lorsque « mon jouet » se casse ou qu’on me le prend, il en résulte une grande souffrance. Non pas en raison de la valeur intrinsèque du jouet, mais à cause de la pensée « mon ». Le jouet fait partie du sens du moi, du je, que l’enfant développe. Il faut préciser ici que l’enfant perdra rapidement son intérêt pour le jouet en question, qu’il remplacera par d’autres.
Ainsi, à mesure que l’enfant grandit, la pensée d’origine « je » attire d’autres pensées, elle s’identifie à un genre, à des possession, à un corps, à une nationalité, une race, une religion, une profession. Le « je » s’identifie à d’autres choses, entres autres, à des rôles (celui de mère, de père, de mari, de femme, etc.), à des connaissances ou des opinions et à tout ce qui est arrivé au moi par le passé, ces souvenirs étant des pensées qui définissent encore plus le sens du moi avec les concepts « moi » et « mon histoire ». Ceci n’est qu’un aperçu des choses à partir desquelles les gens tirent le sens de leur identité. Il ne s’agit en fin de compte de rien d’autre que de pensées maintenues ensemble de façon précaire par le fait qu’on leur attribue une partie de notre identité. Cette construction mentale est ce à quoi vous faites normalement référence quand vous dites ou pensez « je ».
Eckhart Tolle, Nouvelle Terre